Suite :Mercredi 5 juillet, Pampelune.
Le grand jour est enfin arrivé ! Nous débarquons en masse vers 10 heures, Plaza des Toros pour rejoindre le point de départ de la course humaine à quelques centaines de mètres. Comme un clin d’œil du destin, le car nous laisse devant le club taurin de la ville, là où les inconditionnels de la torture partagent autour d’un verre leur amour du taureau et l’art de le faire souffrir le plus longtemps possible. 40.000 taureaux sont assassinés chaque année, rien qu’en Espagne. Pour laisser toutes leurs chances aux toréadors, les taureaux sont régulièrement drogués (20% d’entre eux selon une étude de l’Associated Press), on leur administre des laxatifs, on leur frappe le dos avec des sacs de sable, leurs cornes sont limées, leurs muscles du coup parfois sectionnés pour les empêcher de relever la tête, leurs yeux emplis de vaseline pour brouiller leur vision… En passant devant les arènes nous ne pouvons retenir nos quolibets et autres sifflets à destination de quelques individus venus retirer des billets pour la prochaine corrida. Nous descendons les rues vers le point de convergence où nous rejoindrons des espagnols arrivés par leurs propres moyens. En tout nous serons plus de 1400 à défiler, de tous âges, de toutes confessions, de toutes nationalités et de tous horizons. 1400 c’est beaucoup… et c’est si peu quand on pense aux dizaines de milliers de personnes qui paient le prix fort pour s’entasser dans un stade en regardant des millionnaires en culotte courte jouer à la baballe. Nous formons bientôt une immense troupe gaiement homogène, habillée ou déshabillée de rouge et de blanc devant le corral de Santo Domingo. Les corps dénudés sont bariolés de tatouages anti-corrida, parés de masques en cartons ou encore recouverts d’inscriptions, décorés de peinture rouge qui rappelle le sang répandu des taureaux ou des hommes.
Les équipes de télévisions et de radios espagnoles sont au rendez-vous et s’activent à filmer, enregistrer, interviewer… surtout les jolies filles car il n’en manque pas chez les végétariens ! La parade démarre bientôt au cris répétés de « toros si, toréos no » rythmé par le son des sifflets, tambours et autres instruments. Marionnettes géantes, jongleurs, danseuse, clowns juchés sur des échasses nous accompagnent et attirent le regard des chalands tout du long. Un cordon de policiers armés de fusils à gaz nous escorte tant pour notre sécurité que pour nous contrôler. Leur présence nous empêche de trop communiquer avec la population et interdit à tout public de se joindre à nous. D’autre part un arrêté du tribunal local nous interdit le passage dans l’une des rues les plus fréquentées du parcours et la police se charge bien de le faire respecter en détournant notre marche. Malgré tout beaucoup de spectateurs nous entourent et certains nous font part de leur soutien par leurs gestes d’encouragement, leurs sourires et leurs regards amicaux. Comme l’indique PETA « les touristes viennent à Pampelune pendant les fêtes de la St Firmin pour la musique, la nourriture et pour prendre du bon temps. Ils ne veulent pas particulièrement cautionner cette cruauté envers les animaux mais le problème est que la plupart d’entre eux ne savent pas que ces mêmes taureaux qui traversent la ville en courant (qui glissent et qui tombent dans les rues pavées, se blessant souvent sérieusement, terrifiés par le supplice) vont mourir dans un bain de sang le soir même. »
Le parcours de 800 mètres nous semble trop court pour manifester mais il doit paraître extrêmement long aux taureaux. Nous arrivons bientôt dans le corral d’accès aux arènes et nous l’occupons jusqu’à la dernière minute du temps qui nous est imparti par les autorités. A côté de moi une dame de plus de 70 ans brandit sa pancarte, comme une leçon de sagesse donnée aux plus jeunes, sur laquelle on peux lire « faites l’amour pas la corrida ». Un dernier et virulent « La corrida no es la cultura, es la tortura » dans le mégaphone annonce déjà la fin de la manif. A cet instant PETA avait prévu une grande fête à laquelle les habitants et les promeneurs étaient conviés mais la municipalité l’a interdite. Alors, après avoir récupéré nos vêtements nous partons par petits groupes découvrir le centre ville. Ce que nous y voyons ne nous incite pas à nous attarder car les rues, les places et les boutiques affichent toutes leur solidarité avec la tauromachie. Ce ne sont que tee-shirts bariolés de fausses tâches d’hémoglobines, affiches de taureaux crachant le sang ou photos de matadors les armes en mains. Nous profitons tout de même de quelques rafraîchissements à une terrasse de café avant de nous décider à rejoindre le bus du retour. Pour ce faire nous devons à nouveau passer près des arènes. Les portes, qui en sont ouvertes, commencent à accueillir les amateurs de boucheries. Nous devinons la présence des animaux derrière les murs épais de l’amphithéâtre, nous sentons leur odeur et percevons quelques meuglements discrets comme pour nous dire merci. Nous tombons presque nez à nez avec 2 toréadors qui descendent de leur luxueuse voiture, paradant comme des coqs en basse-cour dans « leurs habits de lumière ». Ils ne comprennent pas les sifflets de certains d’entre nous qui les conspuent, tant ils ont l’habitude d’être adulé comme des dieux par quelques assoiffés de sang.
De retour au camping les sentiments se partagent entre amertume et satisfaction d’avoir agit comme nous le devions. Les discussions pour améliorer les préparatifs de la course humaine 2007 s’engagent rapidement entre militants et dureront jusqu’au bout de la nuit. Le lendemain les journaux hispaniques consacrent quelques lignes ou une page entière à notre action : objectif atteint. Des photos sont sur le site :
http://www.runningofthenudes.co.uk/photos.asp.Bien sûr il y a encore beaucoup de luttes à mener et il faudra revenir de nombreuses années à Pampelune pour espérer voir changer les mentalités. Tout n’était certainement pas parfait mais je ne doute pas que PETA tiendra compte de l’avis demandé à tous sur cette manif 2006 et il n’appartient qu’à nous de faire évoluer les choses (je réserve en ce qui me concerne des observations détaillées à PETA). D’autres actions menées par d’innombrables associations de protection animale se mettent en place jour après jour dans chaque région de France et dans le monde entier. Elles viennent alimenter le flot constant des femmes et des hommes qui osent aujourd’hui s’élever contre leurs contemporains pour défendre le bien être animal.
La course humaine a le mérite d’exister grâce à la détermination d’une vingtaine de militants qui en furent les courageux pionniers. Elle permet aussi à des centaines de végétariens de se retrouver, d’échanger, de communier et de repartir chez eux avec le sentiment intense d’avoir vécue un moment de partage inoubliable. Après Pampelune, nous savons que nous ne sommes pas seuls, que des millions d’êtres humains partagent nos convictions et que nous avons raison de nous battre pour les faire connaître et les défendre.
C’est avec une pensée pour Nath, Christian, Jérôme, Bernard, Claire, Laëtitia, Laurent, Stéphane et tous les autres dont ceux qui comme Vesna, n’ont pas pu participer, que je cite pour finir les paroles de Francis Cabrel :
Depuis le temps que je patiente
Dans cette chambre noire
J'entends qu'on s'amuse et qu'on chante
Au bout du couloir ;
Quelqu'un a touché le verrou
Et j'ai plongé vers le grand jour
J'ai vu les fanfares, les barrières
Et les gens autour
Dans les premiers moments j'ai cru
Qu'il fallait seulement se défendre
Mais cette place est sans issue
Je commence à comprendre
Ils ont refermé derrière moi
Ils ont eu peur que je recule
Je vais bien finir par l'avoir
Cette danseuse ridicule...
Est-ce que ce monde est sérieux ?
Est-ce que ce monde est sérieux ?
Andalousie je me souviens
Les prairies bordées de cactus
Je ne vais pas trembler devant
Ce pantin, ce minus !
Je vais l'attraper, lui et son chapeau
Les faire tourner comme un soleil
Ce soir la femme du torero
Dormira sur ses deux oreilles
Est-ce que ce monde est sérieux ?
Est-ce que ce monde est sérieux ?
J'en ai poursuivi des fantômes
Presque touché leurs ballerines
Ils ont frappé fort dans mon cou
Pour que je m'incline
Ils sortent d'où ces acrobates
Avec leurs costumes de papier ?
J'ai jamais appris à me battre
Contre des poupées
Sentir le sable sous ma tête
C'est fou comme ça peut faire du bien
J'ai prié pour que s'arrête
Andalousie je me souviens
Je les entends rire comme je râle
Je les vois danser comme je succombe
Je pensais pas qu'on puisse autant
S'amuser autour d'une tombe
Est-ce que ce monde est sérieux ?